Peut-on diffuser un morceau si aucun musicien n’a signé de contrats ?

Est-ce légal de diffuser des sons sans avoir signé de contrat avec les musicien·ne·s ? Comment régulariser la situation ?
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Bienvenue à toi
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Je suis Jennifer ESKIDJIAN
Juriste ~ Formatrice en Droit de la Musique
Fondatrice du site à ContreTemps

Je reçois souvent des questions intéressantes par mail.

Alors, je me suis dit que ça pourrait être utile que les réponses soient partagées.

Voici donc une série d’articles dans un format “Questions/Réponses“.

N’hésite pas à partager ton avis dans les commentaires.

Ou à cliquer sur le 💛 si l’article t’a été utile !

 

Retrouve les autres articles de la série ici : De Vive Voix, je réponds à vos Questions

 

 

Version audio à venir…

 

 

 

Cette semaine je réponds à Clémence qui m’a posé une question qui revient souvent :

On est un groupe d’amis musiciens et musiciennes. On a enregistré 5 titres.
Depuis 2 ans, personne n’a été payé et tout le monde a toujours été OK avec ça.
Nous n’avons ni contrat, ni papier, ni rémunération.
Mais maintenant, on ne sait pas si c’est légal de sortir ces sons comme ça ?

 

Alors, tu sais peut-être que j’ai déjà fait une mise au poing 👊 dans cet article : Peut-on NE PAS payer un artiste qui est D’ACCORD ?

Même si pour moi paiement des salaires et signature de contrats ça va ensemble ; c’est vrai qu’on peut regarder les deux questions séparément.

Donc je vais reprendre ce que j’ai déjà dit dans l’article précédent, mais je vais développer ici la question spécifique des contrats.

 

[Je sais que Clémence est sensible à l’écriture inclusive, alors qu’elle m’excuse 🙏🏻 Par commodité d’écriture et de lecture, je continue à employer le masculin dans cet article pour parler de toutes et tous les artistes, musiciens, musiciennes, producteurs, productrices, et toustes les professionnel·les de la musique !]

 

Tout ça commence par une règle très simple :

Enregistrer & Diffuser = 2 droits différents.

 

Le droit d’autoriser l’ENREGISTREMENT et le droit d’autoriser la DIFFUSION sont 2 droits différents.

 

Concrètement, ça veut dire que :

 

Ce n’est PAS parce qu’un artiste vient jouer (en studio ou sur scène) qu’il autorise forcément l’enregistrement de sa prestation.

 

Et ce n’est PAS parce qu’il autorise l’enregistrement de sa prestation qu’il autorise forcément sa diffusion.

 

S’il-te-plaît, relis encore une fois.

 

Par exemple, ce n’est PAS parce qu’un artiste autorise le public à filmer son concert qu’il autorise forcément sa diffusion sur les réseaux sociaux.

Pareil, ce n’est PAS parce qu’un artiste vient jouer dans ton home studio que ça signifie qu’il est d’accord pour que tu diffuses sur Youtube les sons que vous avez enregistrés.

 

Conséquence de cette règle très simple ?

 

Pour pouvoir diffuser l’enregistrement :

Il faut que les musiciennes et musiciens aient tous donné leur accord :

d’une part POUR ENREGISTRER

et d’autre part POUR DIFFUSER.

 

Il faut les DEUX.

 

C’est la première règle. Pas compliqué, t’as vu.

 

Deuxième règle, très simple aussi :

 

Pour préserver les intérêts des artistes et des producteurs, la loi impose que cet accord soit donné par écrit. Donc un contrat est OBLIGATOIRE.

 

Pas de contrat = Pas d’autorisation d’exploitation.

Je ne peux pas être plus claire que ça.

Rémunérer l’artiste et lui faire signer un contrat garantit au label que l’artiste lui donne bien l’autorisation d’exploiter et de diffuser son travail.

C’est une obligation de la loi.

Tu as peut-être remarqué que je ne cite pas souvent d’articles de lois et je donne très peu d’informations chiffrées. Moi aussi ça me fait mal à la tête.

Mais quand j’en donne : c’est que c’est important ET accessible.

Donc, là, ce qui nous intéresse, c’est l’article L.212-3 Code Propriété Intellectuelle.

C’est la toute PREMIÈRE phrase et c’est en FRANÇAIS :

« Sont soumises à l’autorisation écrite de l’artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public […]  ».

 

Donc la loi dit qu’il est obligatoire de recueillir par ÉCRIT l’autorisation de l’artiste pour pouvoir :

1/ ENREGISTRER son travail (la loi parle de “fixation de sa prestation“, ça veut dire enregistrer, fixer quelque part ce qui a été joué)

2/ DIFFUSER sa prestations enregistrée (dans la loi et le jargon de la musique on parle de “communication au public“, ça veut dire jouer sur scène mais aussi diffuser par n’importe quel moyen : radio, internet, etc.).

 

 

Qu’est-ce qu’on fait si on n’a pas les autorisations ?

Qu’on soit bien d’accord : je ne dis pas qu’il est interdit de faire de la musique entre amis et qu’on est obligé d’être payé pour jouer de la musique.

Ce n’est pas un problème si vous restez dans la sphère non économique, non professionnelle.

Mais en réalité, MÊME dans ce cas, obtenir les autorisations pour diffuser le travail des artistes est obligatoire.

 

Comme je le dis souvent :

Il n’y a AUCUN problème entre les musiciens… tant qu’il y a 0€ à se partager !

Donc :

►► Si vous partez du principe que le projet va vivoter et faire quelques streams et quelques vues sur Youtube, et que vous allez vendre 25 CD à la fin de votre seul concert de l’année :

Ne vous prenez pas la tête. Effectivement, pas besoin ni de contrat, ni de fiches de paie, ni de rémunération. De toute façon, que je le dise ou pas, c’est comme ça que ça se passe. Et c’est pas si grave.

 

►► Mais si vous partez du principe que le projet a un potentiel de diffusion important (ou en tout cas que c’est votre souhait) : il va falloir un peu se prendre la tête pour régulariser la situation. Faire des dépôts Sacem. Signer des autorisations. Payer les salaires.

Parce que le jour où les titres commencent à tourner et que la musique génère des revenus, ou qu’un DJ fait un remix de votre titre et le diffuse sur Youtube, ou que votre musique est utilisée dans une publicité ou un documentaire, les musiciens vont se réveiller et se dire “et moi ?”… “j’ai pas autorisé ça…” (sans parler du fait qu’ils n’ont pas été payés…).

… Et c’est là que les problèmes vont commencer.

 

Alors, même si vous décidez ensemble que vous ne paierez pas de salaires aux musiciens, parce que vous n’avez pas de structure, parce qu’il faut faire les déclarations, que ça vous semble compliqué, trop d’argent à sortir, etc.

Je ne veux pas dire “c’est ok” parce que légalement ça ne l’est PAS. J’en parle assez dans cet article : Peut-on NE PAS payer un artiste qui est D’ACCORD ?

Mais à la rigueur, passons j’ai envie de dire. On peut éventuellement régulariser la situation plus tard, payer des salaires quand on sera structuré, déclaré, etc.

Pour moi, le plus important au début, c’est AU MOINS d’avoir une autorisation formelle et écrite des musiciens et musiciennes pour pouvoir enregistrer et diffuser leur travail.

Là dessus, ne faites pas l’impasse.

 

Comment régulariser la situation quand aucun musicien n’a signé de contrat ?

Je te décris la solution qui me semble la plus simple et qui s’applique si le projet est “tout neuf” disons.

Mais attention : si vous avez mis vos morceaux en ligne et que, par exemple, un artiste connu a repris un titre et que ça commence à générer des millions de vues/streams, ou qu’une major veut vous signer en licence, etc. 👉 Là, tu oublies cet article et tu vas consulter un avocat et te faire accompagner pour régulariser comme il faut la situation (et si tu n’en connais pas, tu m’écris).

Le plus simple et légal à la fois

Pour régulariser la situation, le plus simple, selon moi, c’est de faire signer une feuille de présence SPEDIDAM.

Je rappelle que la SPEDIDAM c’est l’organisme qui reverse aux artistes-interprètes l’argent de la diffusion (en radio, clubs, magasins, lieux publics…) des enregistrements auxquels ils ou elles ont participé.

Une feuille de présence ça se présente comme sur cette image :

 

Signer une feuille de présence, c’est signer à la fois un contrat d’engagement pour une session d’enregistrement (= un contrat de travail en quelque sorte) ET une cession de droits (= une autorisation d’exploitation).

[Août 2023 : Rectification & Mise à Jour]

Suite à mes échanges avec la SPEDIDAM, je corrige cette phrase.

❗️En réalité, signer une feuille de présence n’est PAS considéré comme signer un contrat d’engagement (=contrat de travail) ❗️

Il s’agit uniquement d’une autorisation d’exploitation.

[ Ce qui veut dire qu’en principe, il faudra signer aussi un contrat d’engagement qui précise notamment le montant des rémunérations prévues pour l’enregistrement et les autorisations d’exploitation. J’en parlerai dans un prochain article parce qu’il y a des subtilités et nuances que je voudrais essayer d’expliquer – simplement, et ça va pas être si facile. 😅 ]

 

Comme c’est écrit en haut à droite : “La signature de la feuille de présence vaut autorisation“.

 

L’important c’est de pouvoir assurer que l’artiste a bien participé à l’enregistrement de tel et tel titre.

Et qu’il donne son autorisation pour une exploitation commerciale de l’enregistrement.

Tu vois sur l’image juste au-dessus, la case 1 est cochée : “PHONOGRAMME DU COMMERCE“. C’est ça que ça veut dire. Un phonogramme, c’est un enregistrement.

Donc c’est l’autorisation de commercialiser la prestation enregistrée par l’artiste.

 

Idéalement, tu fournis des fiches de paie qui prouvent la participation de chaque musicien à l’enregistrement.

Mais s’il n’y a pas (encore…) de fiches de paie, tu peux essayer de montrer que les musiciens sont bien crédités partout : leur nom apparait bien sur les plateformes de streaming, sous les vidéos Youtube, sur les pochettes de Vinyles/CD, etc.

Vois avec la SPEDIDAM si tu peux faire une capture d’écran des crédits.

Comment obtenir des feuilles de présence ?

C’est facile.

Tu en commandes directement sur cette page du site de la SPEDIDAM.

Ils te les envoient GRATUITEMENT.

Pas d’excuse.

Tu sais pas comment remplir ?  Tu télécharges la NOTICE en PDF.

Tu ne comprends rien à la notice ? Tu les appelles !

Je crois que tu peux prendre rendez-vous avec le service juridique. Ils sont joignables, disponibles et souvent très sympas !

Ils ADORENT les artistes et producteurs qui appellent pour régulariser leur situation.

Quel intérêt pour les interprètes d’être inscrits à la SPEDIDAM ?

Je m’adresse ici au producteur ou la productrice de l’enregistrement. C’est-à-dire à la personne qui a eu l’initiative du projet et qui en prend la responsabilité financière.

S’il faut je t’invite à relire cet article : Un Producteur phonographique : C’est Quoi exactement ?).

Si c’est toi, écoute bien :

Même si Justement parce que les musiciens et musiciennes sont tes amis et des artistes que tu respectes : propose-leur de signer une feuille de présence.

En faisant ça, tu leur permets de devenir adhérents de la SPEDIDAM*.

Ça veut dire que :

Au piiiiire, même si tu ne peux pas payer les musiciens pour les sessions d’enregistrement:

Permets-leur au moins de toucher de l’argent des diffusions chaque fois que les morceaux passeront à la radio, sur des chaînes de télé ou dans les lieux publics (clubs, bars, évènements, etc.).

C’est l’argent de la Rémunération équitable qui leur revient.

Ils toucheront également l’argent de la Copie privée, j’en parle dans cet article sur les droits des Artistes-interprètes.

* [Août 2023 : Rectification & Mise à Jour]

Je ne veux pas rentrer trop dans les détails pour ne pas vous embrouiller, mais :

Attention !

C’est vrai que j’ai dit qu’en signant une feuille de présence, un musicien devient “adhérent” de la SPEDIDAM.

Mais ce n’est pas exact.

En effet, la SPEDIDAM m’a demandé de bien préciser que :

Signer une feuille de présence et “adhérer” à la Spedidam, ce n’est pas la même chose.

En réalité, signer une feuille de présence permet au musicien d’être IDENTIFIÉ auprès de la SPEDIDAM.

C’est comme ça qu’il peut toucher les rémunérations auxquelles il a droit (notamment la rémunération équitable et la rémunération pour copie privée).

Il est en effet possible pour un artiste de percevoir des droits sans être adhérent/associé de la SPEDIDAM, dès lors qu’il est identifié.

Adhérer à la SPEDIDAM, c’est devenir associé de l’organisation. L’artiste remplit un acte d’adhésion et paye la somme de 16 euros, correspondant au montant d’une part sociale, et ce pour l’intégralité de la carrière de l’artiste-interprète (une fois pour toute la vie).

L’adhésion permet notamment de bénéficier de conseils juridiques personnalisés, de percevoir des rémunérations supplémentaires provenant des exploitations internationales ou encore de participer à la vie sociale de la SPEDIDAM.

Voici un lien vers le site internet de la SPEDIDAM qui détaille les avantages et modalités de l’adhésion.

 

Comment je peux faire si j’ai participé à un enregistrement mais que le producteur ne répond pas ou ne veut pas signer de feuille de présence ?

Si tu as participé à un enregistrement et que personne ne t’a rien fait signer et qu’aujourd’hui le producteur ne te répond pas :

Tu déposes ta feuille de présence toi-même !

Oui, c’est possible.

Tu commandes une feuille de présence SPEDIDAM sur le site.

Par contre, tu vas devoir fournir des preuves de ta participation à l’enregistrement.

Si t’as été payé, c’est parfait. Je sais c’est un peu incohérent mais parfois certains artistes sont payés mais ne signent pas de contrats. Dans ce cas, il te suffit de montrer ta fiche de paie.

Si tu n’as pas été payé (officiellement), il faut que tu trouves d’autres moyens : captures d’écran où ton nom apparaît comme artiste par exemple ou tout autre document qui peut montrer que tu as bien participé à l’enregistrement.

Mon conseil : Si tu as un doute, n’hésite surtout pas à contacter la SPEDIDAM. En fonction de ta situation et de ton dossier, ils sauront te conseiller sur les démarches à suivre et les documents à fournir pour valider ta demande.

 

 

Voilà j’espère que ma réponse à Clémence pourra en aider d’autres à y voir plus clair.

Je précise que je suis en contact avec la Spedidam en ce moment et j’attends certaines réponses à mes questions. Donc il est possible que j’apporte des précisions et mises à jour après la publication de cet article. [C’est fait ! et je vais peut-être continuer sur un autre article au sujet du contrat d’engagement. À suivre ! ]

 

 

Si la lecture de cet article a fait émerger des questions à propos de la régularisation des contrats, autorisations, rémunérations : n’hésite pas à les poser dans l’espace commentaires ci-dessous 👇

Si cet article t’a été utile, tu peux aussi me le faire savoir en cliquant sur le 💛 Merci!

 

Pour aller plus loin :

Tu es sur le point de signer un contrat ? Tu n’es pas sûr·e de savoir poser les bonnes questions ?

J’ai rédigé un Guide de Négociation spécialement pour toi : 10 QUESTIONS à (se) poser AVANT de signer un contrat

Tu veux comprendre comment l’argent circule dans la Musique ?

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Article rédigé par Jennifer ESKIDJIAN
Article rédigé par Jennifer ESKIDJIAN

Juriste ~ Formatrice en Droit de la Musique
Fondatrice du site à ContreTemps

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