Ceci est la deuxième partie d’un article consacré à la protection de ton nom de scène. Il est écrit par Jérémy Béchet, juriste spécialisé en droit de la propriété industrielle et droit des marques.
Pour lire la 1ère partie de l’article, c’est par ici : Comment et Pourquoi protéger son Nom de Scène (Partie 1)
Merci à Jérémy pour sa précieuse et très riche contribution !
Ça y est ! Tu as trouvé ton nom de scène. Tu as vérifié qu’il était disponible et tu as peut-être même déjà réservé ton nom de domaine. Si ça n’est pas le cas, je t’invite à bien lire la Première Partie de cette série d’articles consacrés à la protection du Nom de Scène.
Dans cette deuxième partie, il va être question des OUTILS JURIDIQUES à ta disposition pour protéger la VALEUR ÉCONOMIQUE de ton nom de scène en cas de CONFLITS.
Quand je parle de conflits, je parle surtout des désaccords et litiges qui peuvent arriver :
- Avec un ou plusieurs co-membres du groupe (en cas de séparation /« split », en cas de décès…) ;
- Avec un artiste / groupe « concurrent » ;
- Et plus généralement, avec toute autre personne qui utiliserait ton nom de scène sans autorisation.
Lors d’un conflit, il va donc être possible de faire jouer tes droits sur le nom de scène.
Mais avant, il faut s’assurer que tu l’as ce droit ! Il va falloir vérifier d’où est-ce que tu tires le droit de dire « ce nom de scène est le mien ».
Avant tout, bien définir ce qu’est un PROJET ARTISTIQUE
La définition du « PROJET ARTISTIQUE » va être très importante dans ce contexte.
Je t’en propose une définition qui repose sur trois piliers :
- Son origine : c’est la question de savoir d’où vient le projet, par qui il a été porté au tout début (une personne ? plusieurs ?), quelle est son histoire.
- Son expression : comment le projet est-il incarné ? Il va être question de la personnalité des membres clés du projet (style vestimentaire, attitude, gimmick…) mais aussi du type d’instruments utilisés, techniques utilisées, du style musical.
- Sa raison d’être : il s’agit des objectifs fixés par le projet. À quel public s’adresse-t-il ? Les revendications idéologiques du projet (artistes engagés…) ?
Avoir les réponses à ces questions n’est peut-être pas simple de prime abord.
Mais prendre le temps de se poser ces questions EST indispensable, surtout lorsque la question de la propriété du nom de scène se posera.
LE PROJET ARTISTIQUE EST PORTÉ PAR UNE SEULE PERSONNE
Il faut partir ici du principe que, SANS ELLE, le projet artistique n’a plus de raison d’exister, en tout cas, sous la forme dont il a été pensé initialement.
Si tu es seul.e à écrire, composer et jouer tes morceaux sur scène, alors c’est toi qui portes le projet artistique. Même si parfois tu demandes à des musiciens de t’accompagner ou d’enregistrer telle ou telle partie sur ton album ça ne change rien.
À mon sens, on peut dire que de nombreux projets artistiques français d’aujourd’hui sont portés par une seule personne. Aujourd’hui, si tu choisis d’aller voir Florent PAGNY en concert, c’est pour lui que tu viens et ce, même s’il est entouré d’un orchestre philharmonique de 40 musiciens durant sa représentation. S’il ne peut pas chanter le jour J, le concert est annulé.
Lorsque le projet artistique est porté par une seule personne, le nom de scène qui y est rattaché peut être protégé grâce au système des DROITS D’AUTEUR.
Protection par le système des Droits d’auteur
Le droit d’auteur t’est familier lorsqu’on parle de compositions musicales, d’écriture de textes, mais il ne faut pas oublier que le droit d’auteur est très large. Il peut donc tout à fait s’appliquer à un nom de scène ou un visuel servant de nom de scène, pour autant qu’il remplisse la condition d’ORIGINALITÉ.
En effet, selon la loi, toute « œuvre de l’esprit », toute création peut faire l’objet d’une protection par le droit d’auteur si elle présente un caractère original, c’est à dire qu’elle exprime la personnalité de son auteur.
À mon sens, la notion d’originalité (empreinte de ta personnalité) va étroitement se rattacher à l’essence même du projet artistique. Dans la majeure partie des cas, le nom de scène remplira ce critère d’originalité puisqu’il est rattaché au projet artistique. Et ce projet est, par définition, l’expression unique de la personnalité artistique de l’artiste.
Précautions à prendre !
Imaginons que pour trouver son nom de scène, l’artiste ait fait appel à une autre personne (ami graphiste, freelance, entreprise de communication…) pour lui proposer un logo / un visuel qui fera partie intégrante de son nom de scène.
Dans ce cas, il faut que l’artiste s’assure d’avoir « récupéré » les droits sur la partie visuelle du nom de scène.
En effet, le dessinateur (amateur ou non) a lui aussi un droit d’auteur sur le visuel qu’il va créer pour lui (s’il est original bien sûr).
Cette « récupération des droits » se fait par le biais d’un CONTRAT DE CESSION DE DROITS D’AUTEUR.
En l’absence de CESSION DE DROITS D’AUTEUR à son profit, l’utilisation que ferait l’artiste du logo / dessin serait théoriquement illégale – la loi qualifierait cette utilisation de contrefaçon !
Tu comprends donc que si l’artiste oublie de récupérer les droits, les choses peuvent vite devenir gênantes. Eh oui, si son logo / visuel prend de la valeur (au fur et à mesure du développement du projet artistique), alors il n’est pas à l’abri qu’un beau jour le dessinateur lui demande une contrepartie financière conséquente car il utilise son dessin sans son autorisation.
La cession de droits d’auteur est très encadrée par la loi. Il faut établir un CONTRAT DE CESSION en bonne et due forme pour valablement récupérer les droits sur le visuel du nom de scène.
Le DROIT D’AUTEUR sur le nom de scène (et sur le visuel – après cession éventuellement) permettra à l’artiste d’interdire toute utilisation de son nom sans son autorisation préalable (sauf quelques exceptions légales).
Autrement dit, si quelqu’un utilise son nom de scène sans autorisation de sa part, il sera en droit :
- de lui demander (et de lui imposer) de cesser d’utiliser son nom de scène ; et
- d’obtenir une indemnisation s’il a subi un préjudice (que ce soit au niveau de l’image et/ou un préjudice financier).
Comment prouver que l’on est bien à l’origine de son nom de scène (qu’on en est l’auteur) ?
En France, tu es libre de rapporter toute sorte de preuve pour pouvoir le démontrer.
- Il pourrait très bien s’agir de captures d’écran (publications sur le site internet de l’artiste, ses réseaux sociaux…), de fichiers enregistrés sur l’ordinateur démontrant la création (et sa date), les recherches effectuées à une date donnée, des factures concernant la réalisation du logo…
- Si l’artiste est également auteur-compositeur par ailleurs, un premier indice de la création de son nom de scène peut être le fait de l’inscrire lors du dépôt de ses premiers morceaux à la SACEM. Ainsi, il identifie, à une date donnée, le nom de scène qui est rattaché aux morceaux et de manière générale au projet artistique. Par conséquent, cela peut prouver une ANTÉRIORITÉ sur le nom de scène.
- Un autre moyen est également intéressant si le nom de scène présente un caractère visuel : l’enveloppe électronique « E-soleau » proposée par l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI). Pour quelques dizaines d’euros, cette procédure entièrement dématérialisée permet de dater une création. L’INPI va conserver le contenu de l’enveloppe pendant une durée de 5 ans (renouvelable une fois, soit pendant potentiellement 10 ans).
- Enfin, il est également possible de recourir à un huissier de justice ou à un notaire afin de constater à une date donnée la création du nom de scène.
LE PROJET ARTISTIQUE EST PORTÉ PAR UN GROUPE/COLLECTIF
C’est là que les choses deviennent compliquées (ou intéressantes, ça dépend du point de vue).
Ici, le projet artistique est porté par un groupe ou un collectif. Autrement dit, plusieurs personnes sont « essentielles » au projet artistique. Il se pourrait très bien qu’un membre ait trouvé le nom de scène et l’autre le logo ou qu’on ne sache pas qui a réellement trouvé le nom de scène à l’origine.
Dans ce cas, qui est propriétaire du nom de scène ?
Ce sont les juges qui nous donnent la solution, et ce, dans une décision de janvier 2000 à propos du groupe les « Gipsy Kings ».
Voici ce qu’ils disent :
L’appellation ” Gipsy Kings ” constituait la dénomination collective de l’ensemble du groupe de musiciens ; (…) cette dénomination, qui était indissociable de l’existence du groupe qu’elle désignait et de son expression artistique originale et appartenait indivisément aux membres de ce groupe, ne pouvait pas faire l’objet d’une quelconque appropriation au titre de la propriété intellectuelle.
1ère Chambre Civile de la Cour de Cassation du 25 janvier 2000
Ça veut dire quoi ? Que les juges ont estimé que le système du DROIT D’AUTEUR n’est PAS applicable pour le nom de scène d’un projet artistique porté par un groupe / un collectif.
Lorsque qu’il s’agit d’un groupe ou d’un collectif, on ne parle plus de « nom de scène » (qui est donc protégé par le droit d’auteur) mais de DÉNOMINATION COLLECTIVE.
Dans ce cas, les juges nous indiquent que les membres d’un groupe de musiciens ont sur la « dénomination collective » une PROPRIÉTÉ COMMUNE.
Cette solution est justifiée par le fait que la dénomination collective a été pensée par les membres du groupe dans l’unique but d’exprimer un projet artistique COMMUN.
Cette propriété commune est gouvernée par un système qu’on appelle en France : le régime légal de l’INDIVISION (= qui ne se divise pas).
Le régime de l’INDIVISION pour gérer la dénomination collective d’un groupe
Ce régime implique quatre conséquences majeures sur la dénomination collective:
1. Chacun des membres du groupe a le droit d’utiliser la dénomination collective pour le projet artistique auquel elle est rattachée, dans la mesure où cela est compatible avec le droit des autres membres.
2. Chacun des membres du groupe peut utiliser privativement la dénomination collective mais sous réserve de verser une indemnité aux autres membres du groupe.
3. Tout acte entraînant la destruction ou la cession définitive de la dénomination collective doit se faire avec l’accord de tous les membres du groupe.
4. Toute valeur économique attachée à la dénomination collective sera répartie de manière ÉGALE entre tous les membres du groupe (peu importe le degré de contribution de chacun).
Ce régime est comme son nom l’indique LÉGAL. Cela veut dire qu’il est applicable, automatiquement, sans rien faire à proprement parler.
Pour organiser ce régime d’indivision, les membres du groupe auront la possibilité de conclure entre eux un CONTRAT appelé « RÈGLEMENT D’INDIVISION » pour régler justement tous les détails de l’exploitation de la dénomination collective.
Dans les cas de groupes et de collectifs dont la notoriété est grandissante, il sera vivement conseillé d’établir un règlement d’indivision sur la dénomination collective ! Ça évitera que le juge n’ait un jour à décider à la place des membres en cas de conflits entre eux (split, décès d’un membre…).
Est-ce que TOUS les membres du groupe sont concernés ?
La question très importante qui peut également se poser est : quels membres du groupe sont concernés par l’indivision ? S’agit-il de tous les membres initiaux du projet artistique ou seulement certains ?
Pour répondre à cette question, il faudra revenir à la notion de PROJET ARTISTIQUE dont on a parlé plus haut.
À mon sens, seuls les membres du groupe qui « incarnent » d’une façon ou d’une autre, le projet artistique seraient concernés. Il s’agira d’une appréciation qui se ferait au cas par cas.
Un exemple : Si on prend le groupe « QUEEN ».
Est-ce le même projet artistique qui se poursuit aujourd’hui malgré la disparition du chanteur emblématique Freddy Mercury ?
La question est de savoir si : QUEEN = FREDDY MERCURY ? ou si QUEEN = les 4 membres du groupe de ROCK (avec Freddy un peu plus que les autres) ?
À mon sens, c’est bien la seconde solution qui pourrait être retenue. Le projet artistique a été initialement formé par 4 membres, même si deux d’entre eux ressortent particulièrement Freddy Mercury et le guitariste Brian May (et sa chevelure légendaire).
Il n’a jamais été question du projet Freddy Mercury et ses musiciens. Malgré le décès de Freddy Mercury, on pourrait donc dire aujourd’hui que le PROJET ARTISTIQUE attaché au nom de scène QUEEN continue de vivre.
En effet, le guitariste et le batteur sont toujours présents et se sont toujours les chansons du projet artistique initial qui sont joués en concert.
En considérant cela, les héritiers / ayant-droits de Freddy Mercury n’auraient pas le droit d’interdire aux autres membres initiaux du groupe l’utilisation du nom de scène QUEEN pour jouer les chansons de QUEEN.
Et qu’en est-il de la question d’un logo / d’un visuel ?
Deux cas doivent être distingués :
Un membre du groupe a créé le visuel
Si le logo a vocation à jouer le rôle de DÉNOMINATION COLLECTIVE comme on vient de le voir, alors personne ne pourra se l’approprier en disant qu’il a un droit d’auteur sur le visuel. Il sera donc la propriété commune de tous les membres du projet artistique.
Un tierce personne a créé le visuel
Le tiers aura sur le visuel un droit d’auteur (sous condition d’originalité une fois de plus).
Pour récupérer les droits sur ce visuel, il sera nécessaire qu’un CONTRAT DE CESSION DE DROIT D’AUTEUR soit conclu entre l’artiste tiers et les membres du groupe.
Si le logo a vocation à jouer le rôle de dénomination collective, alors après cession des droits d’auteur, le logo tombera dans le régime de l’indivision.
Si le logo n’a pas vocation à jouer le rôle de dénomination collective, seules les personnes qui auront signé le contrat de cession de droit d’auteur avec l’artiste tiers en récupéreront les droits.
Preuve de la dénomination collective ?
Comme pour le système du droit d’auteur qu’on a vu plus haut, l’ANTÉRIORITÉ de la dénomination collective pourra se prouver n’importe quel moyen (= prouver que le groupe est le PREMIER à avoir trouvé et utilisé cette dénomination).
Les mêmes moyens pourront être utilisés à savoir :
- Inscription auprès de la SACEM lors du dépôt des premiers titres du groupe (s’ils sont auteurs et/ou compositeurs des oeuvres interprétées)
- Enveloppe e-Soleau auprès de l’INPI
- Constat d’huissier de justice / notaire
***
Voilà pour cette deuxième partie !
MERCI à Jérémy de nous avoir montré comment protéger et gérer :
- son Nom de scène grâce au système du DROIT D’AUTEUR
- la Dénomination collective de son groupe avec le régime de l’INDIVISION
Nous verrons dans la 3ème et dernière Partie deux autres OUTILS JURIDIQUES qui permettent de protéger ses droits sur son nom : La MARQUE et ce qu’on appelle la RESPONSABILITÉ CIVILE.
3 réponses
Je suis content de trouver ce site.
Je suis contente que tu aies trouvé ce site alors ! 🙂
Cool