Je reçois souvent des questions intéressantes par mail.
Alors, je me suis dit que ça pourrait être utile que les réponses soient partagées.
Voici donc une série d’articles dans un format “Questions/Réponses“.
Retrouve les autres articles de la série ici : De Vive Voix, je réponds à vos Questions
Tu peux aussi écouter l’article en version audio :
Aujourd’hui je réponds à Laurent qui m’écrit :
Je suis compositeur, membre de la SACEM. J’ai décidé de me spécialiser dans la création d’identité sonore pour des entreprises. Est-ce que je suis obligé de déposer mes réalisations à la SACEM même si c’est juste un logo sonore de 5 secondes ?
Le problème c’est que si je fais un dépôt, je ne peux plus interdire l’utilisation de mes compo par quelqu’un d’autre, c’est bien ça ? Mais du coup, comment je peux garantir à l’entreprise une “exclusivité” de l’utilisation de cette marque sonore ?
Super question de Laurent, merci à lui !
Ça m’a permis de faire le point sur cette question qui me taraude depuis longtemps, et qu’on me pose souvent.
L’obligation de déposer un logo sonore à la SACEM
Si le compositeur est membre de la SACEM, il devra déposer le logo sonore qu’il a composé.
Le logo sonore, même de 5 secondes, est a priori considéré comme une œuvre musicale (même si cet aspect est peut-être parfois encore débattu : il faut que le logo soit considéré comme une “vraie” création, une vraie composition, pas juste “do-ré-mi”).
Je rappelle que, selon l’article 3 du Règlement général de la SACEM, les auteurs et compositeurs ont l’OBLIGATION de déposer TOUTES leurs oeuvres :
Pour comprendre le problème de Laurent, il faut comprendre la relation entre la SACEM et ses membres.
Le renoncement au droit d’interdire
J’en parle dans le cours en ligne Accord Parfait, mais je vais essayer de faire un bref résumé ici :
Pour commencer, je rappelle que le droit d’auteur c’est tout simplement le droit pour un créateur (ici un compositeur, une compositrice) d’autoriser ou d’interdire l’utilisation de son travail. Et de recevoir une rémunération en échange (de cette autorisation).
Pour te rafraîchir la mémoire : {En Bref} Les droits d’auteur dans la musique.
Ce qui est important à garder en tête c’est qu’en adhérant à la SACEM, les auteurs et compositeurs, compositrices, lui TRANSFÈRENT leur droit d’autoriser ou d’interdire l’exploitation de leurs œuvres.
Ils permettent à la SACEM d’exercer ce droit à leur place. Et ils lui confient la gestion de leurs droits en EXCLUSIVITÉ. Ça veut dire que personne d’autre que la SACEM ne peut le faire.
Voici un schéma, extrait du cours en ligne Accord Parfait, pour t’aider à visualiser :
En exclusivité, ça veut dire : interdit de court-circuiter la SACEM.
Donc, pour tous les modes d’exploitation gérés par la SACEM (et uniquement ceux-là), il faudra obligatoirement passer par le système de la gestion collective.
{Quels sont les modes d’exploitation – c’est-à-dire les utilisations – gérés par la SACEM ? À quel moment on gère soi-même les autorisations ? À quel moment ça passe par les Organismes de gestion collective ? 👉 C’est précisément ce qu’on voit ensemble dans le cours en ligne Accord Parfait sur les fondamentaux du droit de la musique}.
Donc on a dit le compositeur transfère son droit d’autoriser ou d’interdire à la SACEM.
Mais en réalité, la SACEM n’exerce PAS le droit d’interdire.
En fait, un utilisateur (une radio par exemple) ne demande pas à la SACEM s’il peut utiliser une œuvre qui est déposée chez elle : il l’utilise. Point. Il ne demande pas. Il envoie une simple déclaration, il paye les droits d’auteur exigés par la SACEM, et il peut diffuser l’œuvre.
À condition qu’on n’apporte aucune modification à l’oeuvre, c’est un OK d’office.
C’est pour ça que je dis que, d’une certaine manière, lorsque l’auteur-compositeur fait apport de ses droits et qu’il devient membre de la SACEM, il RENONCE à son droit d’interdire l’utilisation de ses œuvres.
C’est ça que dit Laurent quand il m’écrit :
Le problème c’est que si je fais un dépôt, je ne peux plus interdire l’utilisation de mes compo par quelqu’un d’autre, c’est bien ça ?
Oui, c’est bien ça Laurent.
Du coup c’est quoi le problème ?
Conséquences du dépôt d’une création sonore à la SACEM
Comment faire pour assurer une utilisation exclusive à son client ?
Dans la PRATIQUE, les compositeurs font payer cette cession “exclusive” des droits d’exploitation. Ils font payer l’autorisation d’utiliser de façon exclusive le logo sonore.
Mais à quoi correspond ce que les compositeurs font payer ? Est-ce vraiment légal ? Puisqu’en réalité, c’est la SACEM qui est titulaire du droit d’autoriser l’exploitation des oeuvres…
Si jamais ce que je dis est un peu flou pour toi, je t’invite à lire l’article que j’ai rédigé sur les contrats que signent les compositeurs de musique à l’image, et notamment la partie sur la “cession des droits d’exploitation“.
Je ne vais pas dérouler toute la théorie juridique ici.
Toutefois, on peut affirmer que ce que paye l’entreprise au compositeur serait comme un “engagement moral” de la part du compositeur à NE PAS proposer à d’autres clients cette composition/ce logo.
C’est ce que j’appelle le “prix de l’immobilisation” dans ce même article sur les compositeurs de musique à l’image.
C’est ÇA le véritable engagement du compositeur.
{C’est aussi comme ça que la SACEM voit les choses, selon ce que l’on m’a déclaré au service juridique : la SACEM tolère les cessions de droits exclusives conclues par les compositeurs, même si c’est limite juridiquement, parce qu’elle considère ces contrats comme un engagement du compositeur à ne pas, lui-même, réutiliser cette composition}.
Idéalement, il faudrait conseiller aux entreprises clientes de s’appuyer sur le droit des MARQUES pour faire protéger le logo sonore. Ça veut dire que c’est en le déposant à l’INPI, comme une véritable marque qui l’identifie, que l’entreprise peut empêcher d’autres personnes d’utiliser son identité sonore.
Si le compositeur n’est PAS membre de la SACEM
Tout ce que je viens de dire est valable si le compositeur EST membre de la SACEM. Parce qu’il a l’obligation dans ce cas de déposer toutes ses oeuvres et qu’il a fait APPORT de ses droits à la SACEM.
Par contre, si le compositeur n’est PAS membre de la SACEM : Alors, il n’y a aucun problème. Il est encore titulaire de 100% de ses droits d’auteur, c’est lui-même qui en est le propriétaire et gestionnaire en quelque sorte. Par conséquence, il peut garantir l’exclusivité à son client sans difficulté.
Voilà en résumé ce que je peux dire sur cette question épineuse, complexe et mouvante.
C’est un sujet que je n’ai pas fini d’approfondir, donc tous les partages d’expériences sont les bienvenus !
Alors, si tu as des questions ou que tu veux apporter ton propre témoignage, n’hésite surtout pas à les partager dans l’espace commentaires juste en-dessous. 👇
Et si l’article t’a été utile, tu peux me le faire savoir en cliquant sur le 💛 Merci !
4 réponses
Article intéressant… je serais curieux de savoir ce qu’il c’est passé quand David Gilmour des pink Floyd c’est servit du thème de la SNCF que long entend en sortant du train pour en faire une chanson.. Il se dit qu’il en a racheté les droits.. est la véritable histoire ? Un tiers peut il racheter les droits d’une chanson ?
Salut Antoine,
Alors, à ma connaissance, David Gilmour a “racheté” les droits si tu veux mais dans le sens où ils ont signé un contrat de cession (le deal est un peu différent) : le compositeur du jingle a cédé ses droits sur son oeuvre (= a autorisé l’exploitation et ils ont partagé les revenus).
Il y a eu des tensions et conflits par la suite mais le fondement de cet accord est valable, je te mets un article qui résume l’affaire
Sinon, en ce qui concerne le rachat des droits, c’est par exemple ce qui se produit régulièrement avec les ventes de catalogues (les chansons de Bowie, Michael Jackson, les Beatles, etc.), donc oui c’est tout à fait possible.
Bonjour,
Je vous remercie pour votre blog et pour toutes les informations que vous nous transmettez.
J’aimerais avoir vos éclaircissements au sujet d’une problématique que je rencontre au sujet de la composition d’une identité sonore pour une entreprise.
J’ai composé une musique dans laquelle j’ai volontairement fait apparaitre 5 notes issues d’une musique de film sur laquelle je n’ai pas le droit. A noter que je n’ai pas intégré l’extrait original de ces 5 notes mais je les aient rejoué moi-même avec mes propres instruments. Je précise donc qu’il ne s’agit pas d’un sample.
Pourriez-vous m’expliquer le cheminement légal pour vendre cette musique à l’entreprise svp ?
PS :
Je sais qu’en passant par la plateforme Distrokid, il est aujourd’hui légal de diffuser des “cover” sur les plateformes de streaming (Spotify ou autre) lorsqu’on stipule bien le nom de l’auteur qui a composé le morceau original. Distrokid se charge de faire automatiquement la redistribution des droits d’auteurs.
Dans cette optique-là, serait-il possible de déposer ma composition sur les plateformes de streaming via Distrokid, bien préciser l’auteur original des 5 notes afin que la redistribution soit effectuée puis ensuite proposer ce morceau à l’entreprise en question ?
J’espère être assez compréhensible pour que vous puissiez m’apporter une réponse.
Une nouvelle fois merci pour votre aide,
Bonjour Paul,
Ce dont tu me parles n’est pas du tout une “cover”. Une “cover”, c’est-à-dire une reprise en français c’est en quelque sorte la réinterprétation d’une oeuvre existante. Dans une reprise il n’y a aucune modification de l’oeuvre (des textes ou de la structure de la composition, de la mélodie, etc.), c’est “juste” une interprétation.
Quand tu extrais quelques notes d’une oeuvre existante, il ne s’agit en aucun cas d’une reprise : c’est une modification / transformation de l’oeuvre originale. J’ai bien compris que tu n’as pas touché à l’enregistrement donc pas d’autorisation à demander au producteur phonographique, mais il est impératif de demander l’autorisation de l’éditeur musical / du compositeur de la musique originale. À mon avis, ça va être compliqué surtout si c’est pour un usage commercial, mais bon tu peux toujours tenter.