La photo de présentation est signée Jean-Marie GHISLAIN, photographe et plongeur, dont je vous invite à découvrir le fabuleux travail avec les requins sur son site : https://ghislainjm.com/
Je remercie Jean-Marie Ghislain pour l’autorisation qu’il m’a accordée de diffuser cette image.
Tu peux aussi écouter l’article en version audio :
Aujourd’hui, je voulais parler d’une difficulté à laquelle semblent être confrontés beaucoup d’artistes et d’entrepreneurs qui viennent à moi : c’est la négociation de contrats.
La négociation et les contrats sont des sujets très présents dans le Monde professionnel de la Musique. Et je dirais bien, partout ailleurs dans nos vies.
J’ai remarqué que ce sont des sujets qui nous mettent souvent en tension, sur nos gardes même.
Peur de se faire arnaquer, de ne pas être respecté, peur que sa confiance soit trahie. Immense peur de la déception, peut-être parce que dans nos domaines d’activités les liens d’amitié et les relations professionnelles se confondent souvent.
Ai-je été trop crédule ? trop naïve ? trop gentil ? trop con ?
Il y a aussi de vieux schémas plus ou moins conscients qui se révèlent, se réveillent. Avec cette croyance qu’il y aurait, d’un côté des prédateurs aux dents longues sans pitié, et de l’autre des pauvres proies démunies et sans défense.
Ce n’est pas toujours aussi grossier bien sûr. Mais je trouve que cette croyance qu’il y a d’un côté les requins et de l’autre les sardines, s’exprime de façon très subtile dans nos relations professionnelles, beaucoup plus souvent qu’on le croit.
Et dans la Musique, je trouve que c’est flagrant.
J’avais donc envie de partager quelques mots à ce sujet.
Je ne crois pas que négocier un contrat soit fondamentalement quelque chose de très difficile.
Ce n’est pas un art réservé à quelques experts en costume-cravate qui parleraient un langage codé que seuls des initiés pourraient comprendre.
Oui, il y a bien des personnes qui se passionnent pour ce processus, qui sont doués, qui le pratiquent tous les jours et qui en ont fait un Art.
Mais à mon avis, ce que ces personnes-là ont compris, c’est surtout que négocier est un processus hautement HUMAIN, avant toute autre chose.
Avant d’être une relation économique, technique, juridique, financière, c’est une relation humaine.
Et elles ne l’oublient JAMAIS pendant leurs échanges.
Négocier,
C’est se rencontrer, discuter, écouter, sentir, interroger et décider.
Tout le monde en est capable.
Et chacun à sa manière.
Mais de l’autre côté, c’est vrai que cela ne suffit pas.
En tout cas, pas dans le Monde professionnel de la Musique.
Pour pouvoir se comprendre, pour bien mesurer ce à quoi on s’engage et le faire en toute connaissance de cause, il y a certains éléments techniques qu’il faut connaître : vocabulaire, organisation, mécanismes juridiques, usages de la profession, etc.
Cette connaissance permet d’avoir un « consentement éclairé », comme dit le Droit français.
C’est ce que je défends à travers mon travail. En tout cas ce que j’essaye de faire. Avec les articles du blog, mon cours en ligne, les consultations que je propose.
J’aimerais que le consentement éclairé ne soit pas juste un concept théorique. Mais que les artistes et entrepreneurs qui signent des contrats – déjà, les lisent ! – puis comprennent les enjeux concrets de leurs engagements.
Parce que, même si je sais bien que c’est douloureux à entendre pour certaines personnes qui ont le sentiment de s’être faits arnaquer, un contrat ça se signe à DEUX.
Personne ne nous a jamais obligé à nous engager, à dire oui et à signer ce contrat !
Donc, avant toute chose, je crois qu’il est essentiel pour chacun et chacune d’entre nous de reprendre la responsabilité de nos choix.
Et que nous cessions de nous accuser les uns les autres d’être des requins, des prédateurs, des escrocs, des incompétents, des connards et autres noms de fleurs.
Voilà pourquoi j’ai choisi cette photo pour illustrer ce que j’imagine du Futur de l’Art de Négocier.
La première fois que j’ai vu cette photo, j’ai ressenti un choc immense.
Je suis émue à chaque fois que je me plonge dans cette image.
Depuis des années,
Le requin. C’est le mangeur d’hommes. Le prédateur. Le monstre. Le cauchemar. L’obscurité. L’imprévisibilité. Les profondeurs. La morsure. L’engloutissement. Le déchiquetage. La terreur. Le sang. La mort.
Puis d’un coup, en une seconde,
Une main tendue. Le contact. La curiosité. Le jeu. L’amitié. Le respect. La frontière. Le territoire. La rencontre. La vulnérabilité. Le coeur. La vie.
La peur du prédateur pulvérisée.
L’inconcevable a eu lieu.
Je ne sais pas pourquoi mais quand je vois cette photo, je comprends instantanément que :
Négocier, ça n’est pas partir en Guerre.
Négocier, c’est apprendre à faire la Paix.
Avec soi.
Avec l’autre.
Et un Contrat, c’est la matérialisation de cette relation de confiance.
Un Contrat, ça n’est PAS une démarche administrative pénible que tu subis pour faire plaisir au mec en face.
Un Contrat, ça n’est PAS un instrument de torture et d’oppression. Ni un instrument de domination.
Un Contrat, ça n’est PAS non plus une armure qui a vocation à te protéger d’un danger quelconque.
D’ailleurs, si tu sens un danger, si tu ne te sens pas en confiance, je le répète une dix-millionième fois ici : Tu ne signes PAS, tu ne t’engages PAS. Point.
En tout cas, pas tant que tu n’auras pas tous les éléments à ta disposition pour faire un choix éclairé.
Et tu n’as besoin de donner aucune explication, aucune raison pour refuser de signer.
Ton sentiment suffit.
Ça fonctionne en sens inverse aussi. Même si c’est très inconfortable à admettre pour les juristes et les avocats.
Mais si dans tes tripes, du plus profond de ton être, ça dit : OUI, ON Y VA. Alors, même si tu n’as pas TOUS les éléments à ta disposition pour mesurer le pour et le contre : Tu peux y aller.
Non, faire appel à un avocat pour négocier un contrat ou gérer son business n’est pas du tout obligatoire. Ni passer des heures à se former et avaler des tonnes d’informations ici ou ailleurs.
Non, rien de tout ça n’est obligatoire quand ton bide te dit : Tu peux y aller.
Oui, je dis parfois le contraire.
Parce que ça dépend du contexte, ça dépend de quoi on parle.
Et quand je parle des tripes, de l’intuition, de l’instinct, du corps qui dit « nous sommes en sécurité, on y va », il n’y a aucun expert au monde qui est supposé remettre ça en question.
Pour moi, l’expertise peut intervenir après. Pour veiller à ce que le contenu du contrat REFLÈTE parfaitement l’intention des tripes de chacun.
Ça, c’est le travail de l’avocat, du juriste, de l’expert.
Pas de t’imposer leur point de vue. Mais de faire émerger le tien, pour pouvoir t’aider à l’exprimer et le défendre.
Comme je disais un jour à cet artiste anxieux : Si tu as tellement à cœur que le partage entre vous soit équitable, alors le contrat ne POURRA PAS être inéquitable.
Parce que votre contrat sera le REFLET de votre relation.
Je résumerai donc les choses ainsi :
Veiller à préserver ses intérêts lorsqu’on signe un contrat : Oui, bien sûr, toujours.
Se protéger d’un danger : Non, ce n’est pas la vocation du contrat.
Selon moi, la sécurité que nous cherchons tant ne vient pas de l’extérieur.
Elle ne peut pas être apportée par un avocat, un manager ou un comptable.
Et sûrement pas par un contrat.
Je crois que notre sentiment de sécurité est nourri lorsque nous avons compris ce à quoi nous nous engageons.
Et que nous acceptons la responsabilité qui découle de ce choix éclairé.
Pour finir, je voudrais partager une chose qui me touche particulièrement dans le travail du photographe Jean-Marie Ghislain, et qui bizarrement fait le lien direct avec ma réflexion sur la négociation de contrats.
Jean-Marie Ghislain est un ancien homme d’affaires que j’aurais pu facilement qualifier de “prédateur” (vu tous mes préjugés 🙏🏻), et qui, après avoir affronté (son passé) et sa phobie de l’eau, quitte tout et devient en quelques années un des plus grands photographes et défenseurs des requins.
Ce qui me touche dans son œuvre : c’est une histoire de posture.
Et le fait que ce soit un homme qui incarne cette posture est, pour pleins de raisons, important à mes yeux.
Là où je croyais qu’on devait vaincre nos peurs, les combattre, les dépasser, les terrasser en s’armant d’une immense paire de c***** (j’en ai pas, comment je fais ?), de litres de testostérones, envoyer des j’y-vais-et-je-vous-emmerde à tout-va ;
Là où je croyais que pour affronter ses peurs, il fallait être forte ;
Je m’aperçois que c’est tout le contraire.
S’abandonner semble être le verbe qui révèle le mieux cette posture nécessaire pour oser faire face à ce qui nous terrifie.
Jean-Marie a affronté sa phobie de l’eau et des requins (même si c’est pas lui sur cette photo-là !)
Moi j’ai fait face à ma phobie des sauterelles et des insectes (c’est bien moi sur la photo ^^)
J’avais tendance à me moquer de moi-même, à trouver cette comparaison ridicule.
Mais elle ne l’est pas.
En tout cas, pour moi, le premier pas est le même :
Oser aller à la rencontre de l’autre. Cet autre gluant, rampant, froid, puant, repoussant, bruyant, boueux, gigantesque, invisible… différent.
Oser être minuscule, peureux, fragile, dévorable (oui, même par un scarabée).
Affronter ses peurs, c’est surtout accepter de perdre une part de notre identité, ce qui nous rend spécial même si on n’ose pas se l’avouer consciemment. Je suis la meuf qui a peur des sauterelles. Ça parait anodin mais c’est difficile de se détacher de nos frayeurs quand ça fait tellement d’années qu’on se définit à travers elles.
Nos phobies font partie de nous. Mais si je n’ai plus peur… du coup, qui suis-je ?
Accepter de redevenir banale.
Faire face à ses peurs, ce n’est pas devenir un héros, une héroïne.
C’est ce que j’ai découvert quand j’ai eu la chance de discuter avec Jean-Marie Ghislain.
Je me suis rendue compte après coup que je m’attendais à rencontrer un héros avec tous les stéréotypes qu’on associe à cet archétype herculéen.
D’ailleurs, c’était à tel point, que je n’imaginais même pas qu’il puisse répondre à mon mail dans lequel je lui demandais l’autorisation de diffuser sa photo.
Genre, bah non, le mec il nage avec les requins, il va pas répondre à mon mail.
Or, j’ai été très surprise – par mes propres attentes du coup.
Déjà, il a répondu super rapidement.
Et ensuite, je n’ai pas rencontré une statue d’Hercule, j’ai rencontré un être humain.
Un être humain simple mais traversé de sentiments complexes, discret mais hyper présent, plein de douceur… mais qui en même temps ose nager avec des requins blancs !
Bouleversants paradoxes qui m’ont rappelé la complexité et la beauté des Humains quand ils osent faire tomber leurs masques.
J’ai compris que la Rencontre avec l’Autre n’a été possible que parce qu’il avait accepté de déposer les armes.
Qu’il a abandonné l’idée d’être le plus fort.
J’ai mieux compris ce que Franck Lopvet ne cesse de répéter à longueur de temps : ayez le courage de perdre vos guerres.
Comment autrement est-il possible de tendre la main à un requin qui fait 200 fois ton poids ?
Le mythe de la démonstration de force pour ne pas avoir l’air faible ne peut pas exister face à un requin. Tu veux jouer au plus fort avec lui ? Au bout de 5 secondes il est en train de te mâcher.
Pourtant.
L’expérience de ces plongeurs nous montre que les territoires et limites peuvent être respectées, des deux côtés.
Sans violence. Sans armes. Sans protection.
Et c’est comme ça que j’aime imaginer le Futur de l’Art de Négocier.
Bon, voilà je m’arrête là.
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